Depuis plus de 175 ans, l’assurance mutuelle joue un rôle crucial dans le paysage financier du Canada. Ce qui a commencé comme un mouvement populaire parmi les communautés agricoles a évolué en une industrie robuste qui continue à servir des millions de Canadien.ne.s aujourd’hui. Ce modèle d’assurance unique, fondé sur la propriété communautaire et le partage des risques, a résisté à l’épreuve du temps tout en restant fidèle à ses principes fondamentaux.
L’histoire de l’assurance mutuelle au Canada commence au début du XIXe siècle. À cette époque, le Canada est une société essentiellement rurale et agricole, et les agriculteurs devaient relever des défis importants pour protéger leurs moyens de subsistance contre des risques tels que les incendies et d’autres catastrophes. Les compagnies d’assurance étrangères ne s’intéressaient guère à la couverture de ces communautés agricoles, estimant qu’elles présentaient des risques élevés et n’étaient pas rentables.
Face à ce manque de couverture, les agriculteurs ont commencé à s’organiser en associations de protection mutuelle. Les fondements législatifs de ces premiers assureurs mutuels ont été posés en 1836, lorsque le Haut-Canada a adopté des lois autorisant la création d’une société d’assurance mutuelle agricole dans chacun de ses 20 districts.
Gore Mutual Insurance Company, fondée en 1839, a la particularité d’être le plus ancien assureur de dommages du Canada. Connue à l’origine sous le nom de Gore District Mutual Fire Insurance Company, elle a été créée pour répondre aux besoins des agriculteurs du district de Gore, dans le Haut-Canada (qui fait aujourd’hui partie de l’Ontario). Les agents de Gore Mutual se déplaçaient à cheval pour atteindre les clients ruraux, démontrant ainsi l’approche communautaire qui définissait les premiers assureurs mutuels.
Les années 1850 marquent un tournant important pour l’assurance mutuelle au Canada lorsque la législation est modifiée pour permettre la création d’un plus grand nombre de sociétés d’assurance mutuelle agricole. Cela conduit à la création de 57 sociétés dans le seul Haut-Canada, marquant ainsi les bases d’un mouvement national.
Le développement de l’assurance mutuelle s’est déroulé selon des calendriers différents d’un bout à l’autre du pays :
Au Bas-Canada (Québec), le mouvement débute en 1852 lorsque les agriculteurs mettent en commun leurs ressources pour protéger mutuellement leurs propriétés. Cette initiative a conduit à la création de centaines de sociétés d’assurance mutuelle dans toute la région, dont beaucoup se sont ensuite regroupées pour former des entités plus importantes comme Promutuel Assurance.
Dans les années 1880, l’ouest du Canada voit l’émergence de sociétés d’assurance mutuelle, parallèlement à l’essor de l’agriculture et au développement des communautés rurales. Le Manitoba et la Saskatchewan sont devenus des centres particulièrement importants pour l’assurance mutuelle, avec des compagnies qui continuent d’opérer aujourd’hui.
L’est du Canada a rejoint le mouvement lorsque la première société d’assurance mutuelle a été créée sur l’Île-du-Prince-Édouard en 1885. La Nouvelle-Écosse a suivi en 1904 et le Nouveau-Brunswick en 1937, tous répondant au même besoin fondamental d’une assurance abordable et fiable dans les communautés rurales.
À leurs débuts, les sociétés d’assurance mutuelle fonctionnaient avec des réserves financières très limitées. Pour assurer leur stabilité, elles ont mis en place ce que l’on a appelé le « système de billet de prime ». Cette approche innovante consistait à demander à chaque assuré de signer un billet à ordre d’un montant correspondant à sa prime.
Si une compagnie rencontrait des difficultés financières, elle pouvait demander aux assurés de payer une partie ou la totalité de leurs billets. Ce système a créé un filet de sécurité qui a aidé les assureurs mutuels à maintenir leur solvabilité pendant les périodes difficiles. Fait remarquable, les archives historiques montrent que les sociétés ont rarement eu besoin de recouvrer ces billets, ce qui prouve l’efficacité du modèle mutuel, même à ses débuts.
Au fur et à mesure que les sociétés d’assurance mutuelle ont accumulé des excédents, elles ont été en mesure de supprimer progressivement le système des notes de prime. Aujourd’hui, la solidité financière de ces organisations se reflète dans leurs solides capitaux propres, qui dépassent souvent ceux des sociétés d’assurance par actions par rapport au volume des primes.
Au fur et à mesure que les sociétés d’assurance mutuelle gagnaient en nombre et en importance, la nécessité d’une représentation collective et d’un partage des ressources est devenue évidente. C’est ainsi que naissent diverses associations régionales et nationales qui joueront un rôle crucial dans la défense du secteur de l’assurance mutuelle.
Un des premiers exemples est la « Purely Mutual Underwriters Association », créée en Ontario en 1882. Cette organisation a ensuite évolué pour devenir l’Ontario Mutual Insurance Association (OMIA), qui continue aujourd’hui encore à soutenir les assureurs mutuels de l’Ontario.
Au niveau national, l’Association canadienne des compagnies d’assurance mutuelle (ACCAM) a été officiellement créée le 22 mars 1981, avec Ed Pellow de South Easthope Mutual comme premier président. L’ACCAM est née d’une réunion tenue à Ottawa le 26 novembre 1980, au cours de laquelle les dirigeants de l’industrie se sont réunis pour évaluer la nécessité d’une association nationale.
Ces associations ont permis aux assureurs mutuels de s’exprimer collectivement sur les questions réglementaires et législatives, tout en facilitant le partage des connaissances et le développement professionnel au sein de l’industrie.
Si l’assurance de biens et de dommages a constitué l’épine dorsale du premier secteur de l’assurance mutuelle au Canada, l’assurance vie mutuelle occupe également une place importante dans l’histoire du pays.
La Mutual Life Assurance Company of Canada, fondée en 1868 sous le nom d’Ontario Mutual Life Assurance Company, a été un pionnier dans ce secteur. Basée à Waterloo, en Ontario, elle fonctionnait selon le principe de la mutualité : les assurés étaient propriétaires de la société et partageaient ses bénéfices.
Après plus de 130 ans d’activité en tant que société mutuelle, elle s’est démutualisée en 1999, devenant Clarica Life Insurance Company, qui a ensuite été rachetée par la Financière Sun Life en 2002. Cette transition reflète une tendance plus large à la démutualisation qui a touché plusieurs grandes compagnies d’assurance canadiennes à la fin du XXe siècle.
Ce qui distingue les sociétés d’assurance mutuelle de leurs homologues par actions, c’est leur structure de propriété. Les assureurs mutuels sont détenus par leurs assuré.e.s, qui sont des membres, plutôt que par des actionnaires, ce qui crée un modèle d’entreprise fondamentalement différent avec des avantages et des caractéristiques uniques.
Dans une société d’assurance mutuelle, les assuré.e.s (membres) se voient accorder des droits de vote, ce qui leur permet de participer à la gouvernance de la société en élisant les membres du conseil d’administration, en approuvant les règlements et en guidant l’orientation générale de l’organisation. Cette structure démocratique garantit que les intérêts des utilisateurs/trices des services d’assurance sont directement représentés dans le processus décisionnel de la société.
Les bénéfices générés par les assureurs mutuels sont gérés différemment des sociétés par actions. Plutôt que d’être distribués aux actionnaires externes, les bénéfices sont généralement:
Cette approche est conforme à l’éthique communautaire qui définit l’assurance mutuelle depuis sa création. Comme l’explique l’ACCAM, « l’assurance mutuelle est un modèle commercial éprouvé qui se comporte comme une entreprise sociale… parce que les personnes qui utilisent l’assurance mutuelle la gouvernent également ».
Tout au long de leur histoire, les assureurs mutuels canadiens ont souvent ouvert la voie à d’importantes innovations sectorielles et au progrès social.
Par exemple, Co-operators, fondée en 1945 par un groupe d’organisations agricoles, a été l’un des premiers assureurs canadiens à supprimer les questions raciales des propositions d’assurance automobile. Elle a également été la première à proposer une couverture pour les automobilistes sous-assuré.e.s en Ontario, démontrant ainsi la capacité du secteur à évoluer de manière progressive.
De nombreux assureurs mutuels ont également été les premiers à adopter la technologie, reconnaissant son potentiel pour améliorer la prestation de services tout en maintenant la touche personnelle qui définit l’approche mutuelle. Cet équilibre entre innovation et tradition a été la marque de fabrique des sociétés mutuelles prospères tout au long de l’histoire du Canada.
Le secteur de l’assurance mutuelle a été confronté à de nombreux défis tout au long de son histoire, qu’il s’agisse de dépressions économiques, de guerres mondiales, d’environnements réglementaires changeants ou de l’évolution des attentes des consommateurs. La capacité à s’adapter tout en restant fidèle à ses principes fondamentaux a été cruciale pour la longévité du secteur.
Les pressions en faveur de la démutualisation ont constitué un défi de taille. L’ACCAM s’est toujours opposée à ces efforts de démutualisation, arguant qu’ils compromettent les avantages à long terme que les assureurs mutuels procurent aux assurés et aux collectivités. Cette position reflète l’engagement de l’organisation à préserver le modèle mutuel en tant qu’alternative distincte et précieuse dans le paysage de l’assurance au Canada.
Aujourd’hui, l’assurance mutuelle reste un élément essentiel du secteur des services financiers au Canada. Selon le Canadian Underwriter, les sociétés d’assurance mutuelle sont au service de millions de Canadien.ne.s, avec une présence particulièrement forte dans les communautés rurales et agricoles où leurs racines sont les plus profondes.
Le secteur moderne de l’assurance mutuelle au Canada se caractérise par plusieurs éléments clés :
Une situation financière solide : De nombreux assureurs mutuels maintiennent des ratios d’excédent plus élevés que leurs homologues à capital-actions, offrant ainsi une meilleure sécurité financière aux assurés.
L’accent mis sur la communauté : Les sociétés mutuelles continuent de mettre l’accent sur le service local et l’engagement communautaire, en maintenant souvent des succursales dans les petites villes et les zones rurales qui pourraient être mal desservies par les grands assureurs.
Leadership environnemental : Les assureurs mutuels ont commencé à jouer un rôle de premier plan dans la gestion des risques liés au changement climatique et dans la promotion de la durabilité, reconnaissant l’importance à long terme de ces questions pour leurs assurés et leurs communautés.
Transformation numérique : Tout en préservant leur approche personnelle, les assureurs mutuels adoptent les technologies numériques pour améliorer l’expérience client et l’efficacité opérationnelle.
Les sociétés d’assurance mutuelle du Canada présentent une répartition régionale distincte qui reflète leur évolution historique. Parmi les membres de l’ACCAM, 7 compagnies sont situées dans l’est du Canada, 15 ont leur siège social au Québec, 37 opèrent à partir de l’Ontario et 8 sont établies dans l’ouest du Canada.
De nombreux assureurs mutuels ont développé une expertise spécialisée dans des domaines particuliers. Par exemple, les mutuelles agricoles continuent d’offrir une couverture agricole spécialisée qui s’appuie sur des générations d’expérience dans ce secteur. D’autres ont développé des niches dans des domaines tels que l’assurance commerciale pour les petites entreprises ou la couverture spécialisées des particuliers.
Pour l’avenir, le secteur de l’assurance mutuelle est confronté à la fois à des opportunités et à des défis. Les risques émergents tels que les cybermenaces, le changement climatique et les évolutions démographiques nécessitent une adaptation et une innovation continues. En même temps, les risques peuvent être perçus comme des occasions et des signes d’un intérêt renouvelé pour le modèle mutuel, car les consommateurs apprécient de plus en plus les entreprises qui font preuve de responsabilité sociale et d’engagement envers la collectivité.
L’ACCAM continue de jouer un rôle central dans la défense des intérêts des assureurs mutuels et dans la promotion de la différence entre les mutuelles. Par le biais de l’éducation, des relations gouvernementales, des possibilités de réseautage et des services aux membres, l’association veille à ce que l’assurance mutuelle demeure une option solide et viable pour les Canadien.ne.s.
Pour ceux et celles qui souhaitent en savoir plus sur les carrières dans le secteur de l’assurance mutuelle, la visite des membres de l’ACCAM sur le site Web de l’ACCAM www.camic.ca fournit des informations précieuses sur les opportunités au sein de cette industrie unique.
L’histoire de l’assurance mutuelle au Canada est l’histoire de communautés qui se rassemblent pour résoudre des problèmes communs. Depuis ses origines dans les communautés agricoles rurales jusqu’à son rôle actuel d’acteur important dans le paysage national de l’assurance, le modèle mutuel a fait preuve d’une résilience et d’une adaptabilité remarquables.
Ce qui a commencé comme une réponse pratique au manque d’options d’assurance disponibles a évolué en une approche commerciale distincte qui continue d’offrir aux Canadien.ne.s une alternative basée sur la propriété, la démocratie et l’orientation communautaire. Les principes qui ont guidé les fondateurs des premières sociétés d’assurance mutuelle du Canada - coopération, partage des responsabilités et contrôle local - restent pertinents dans le monde financier complexe d’aujourd’hui.
Tournées vers l’avenir, les sociétés d’assurance mutuelle se positionnent pour relever de nouveaux défis tout en restant attachées aux valeurs qui les ont soutenues pendant plus de 175 ans. Grâce aux ressources de leurs membres et à leur force collective, elles continuent d’incarner l’esprit de mutualité qui définit ce secteur unique de l’industrie de l’assurance au Canada.
L’histoire de l’assurance mutuelle au Canada n’est pas un simple récit historique, mais une tradition vivante qui continue d’évoluer et de servir les Canadien.ne.s au XXIe siècle. Elle témoigne du pouvoir durable de l’idée simple selon laquelle des personnes travaillant ensemble peuvent créer des institutions qui répondent à leurs besoins de manière plus efficace que celles conçues en premier lieu pour les besoins de la société.
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.